L’on dit que la foudre ne tombe jamais deux fois au même endroit, mais si cela est bien vrai, ce n’est pas le cas de la malchance. Je m’appelle Shin Won Ho. Ce nom, on me l’a donné trois jours après la naissance, alors que ma mère ne parvenait pas encore à contenir son chagrin, et que mon père voguait dans l’espace, au grès du vide et de l’oxygène inexistant.

Shin Won Ho. Voilà le nom que ma mère a du bafouiller entre deux sanglots. Elle avait de quoi pleurer ; son mari avait été éjecté, condamné à mort par les autorités de l’arche alors qu’elle venait à peine d’accoucher de ses deux enfants. Deux garçons. Deux jumeaux. Avoir deux enfants, voilà une idée bien saugrenue sur l’arche. Mais elle n’a jamais rien demandé elle. C’est une femme fidèle et obéissante des lois : jamais elle n’aurait cherché à aller envers et contre l’autorité de l’arche, jamais elle n’a voulu causer de tort à qui que ce soit et l’idée de priver une personne de son oxygène parce qu’elle a eu deux enfants au lieu d’un l’a toujours préoccupée. Ma mère est une bonne personne. Parfois un peu virulente et impulsive, certes, mais pourtant si gentille et attentionnée…  

Moi, je n’ai jamais été comme elle. Je pense que je tiens plus de mon père. J’ai toujours été un sale gosse. Pourtant, bébé j’étais très sage. Je ne pleurais presque jamais à en croire les dires de ma mère. Mais en grandissant, je suis très vite devenu différent. Beaucoup m’ont qualifié de réfractaire à toute forme d’autorité, et je ne nierais pas le fait d’avoir du mal à me contrôler face à des personnes me regardant de haut, mais je ne pense pas que ce soit l’unique raison de mes écarts. Il faut savoir que j’ai grandis constamment surveillé par ma mère, et moi-même j’ai dû constamment me plier à des rituels ; jour après jour, du matin au soir je devais surveiller la moindre parcelle de mon corps, vérifié que rien ne clochait. Et tout cela parce que je souffre depuis ma tendre enfance d’insensibilité congénitale à la douleur. Au premier abord, ça peut être classe de ne pas ressentir de douleur physique, mais la vérité est bien loin d’être ainsi. Enfant, je me suis retrouvé à plusieurs reprises en sang sans rien sentir, et si ma mère ne m’avait pas plié à une surveillance quasi permanente, j’aurais certainement grandement pâti de blessures en apparences anodines pour un enfant. Mais voilà, rien n’est anodin quand on est comme moi.

Parfois, je me demande pourquoi c’est moi qui ai survécu. Mon frère jumeau est mort dans l’heure suivant sa naissance, un traumatisme suivant l’éjection de mon père qui a rendu ma mère inquiète de tout à mon sujet ; elle avait peur de perdre la dernière personne qui lui restait.

J’ai grandi dans le secteur 13, ce qui est loin de faire de moi un des plus chanceux, pourtant je ne suis pas parti complètement démuni. Ma mère a voulu me bâtir un bon avenir, me faire quitter ce secteur et me permettre d’avoir une vie plus confortable. Elle m’a instruit au mieux de ses capacités, et grâce à ses cours j’ai réussis le test d’aptitude me permettant d’aller étudier dans le secteur 7.

C’est là-bas, entouré de personnes au mode de vie plus agréable que celui du secteur 13, que je me suis forgé mon sentiment d’injustice et mes ambitions de rebellions. J’ai rejoint d’autres personnes du secteur 13, complotant dans l’ombres, jusqu’au jour où nous avons tout laissé éclater.

Nous aurions pu parvenir à quelque chose, nous avions réussis à réunir beaucoup de monde, nous aurions vraiment pu nous faire entendre… mais tout a échoué. J’ai été arrêté par des gardes, comme d’autres personnes, et condamné à l’éjection de l’arche à ma majorité. Près d’un an après, on est venu me chercher dans ma cellule. Ce n’était pourtant pas mon heure, il me restait quelques années… pourquoi venait-on me chercher ?! Envoyé sur Terre. Une mission suicide pour des mineurs déjà condamné à mort.

Dès l’entrée dans l’atmosphère, le trajet tranquille vers notre terre d’origine s’est transformé en un calvaire de secousse. Le premier contact avec le sol fut assez douloureux… pour mes compagnons d’infortunes. La puissance de l’impact m’a propulsé en avant, mais la ceinture m’a empêché de m’exploser le crâne contre le métal. Mon bras n’a pas été aussi chanceux, fracturé lors de l’atterrissage. Je ne saurais dire exactement quand j’ai eu ma fracture, je n’ai rien senti comme toujours et ce n’est qu’en voulant me détacher que j’ai pris conscience de ma blessure.

Blessé, mais pas mort, j’ai foulé pour la première fois le sol de notre planète natale. L’air frais s’est engouffré dans mes poumons, a caressé mon visage et agité mes mèches. L’odeur était… si bonne. Ce n’était plus l’odeur aseptisée de notre habitacle spatiale, l’odeur des fleurs et la sensation de l’eau dans mes mains. C’était magnifique. Magnifique et effrayant. Nous étions tous envoyé dans un endroit que l’on ne connaissait que grâce aux souvenirs racontés par nos parents, eux-mêmes appris de leurs parents. Nous risquions de mourir, tués par les erreurs de nos ancêtres, pas encore éteinte malgré les années… mais nous avons survécu. Et surtout, nous étions libres. Enfin libéré des dirigeants de l’arche, plus enfermé dans une cellule en attendant d’être expulsé de l’arche. Juste libre.

Aujourd’hui, je ne me vois absolument pas être rejoint par ceux de l’arche. Ils nous ont abandonné, condamné à mort, puis envoyé sur terre pour sauver leur propre vie. Nous ne sommes que des outils pour eux, alors pourquoi les aider ? Pourquoi leur apprendre que la terre est viable ? Ils m’ont condamné, je ne les aiderais pas. Nous saurons nous débrouiller seul, on s’est toujours débrouillé seul de toute manière. La Terre est si belle… ils ne la méritent pas. Si belle, mais si dangereuse. Nous ne sommes pas les seuls ; il y a eu des survivants, des gens qui ne sont pas mort lors de la fin de l’humanité sur Terre. J’étais parti chasser, avec d’autres personnes, quand j’en ai vu un pour la première fois. Nous n’avons même pas eu le temps de dire un mot qu’un des autres était déjà mort, transpercé d’une lance. À ce moment précis, plus qu’une chose compter : courir, fuir et sauver sa vie. Retourner au campement au plus vite. Pour la seconde fois de ma vie, j’ai cru mourir. Certains du groupe de chasseur ne sont jamais revenus vivant, les natifs étaient bien mieux préparés que nous. Ils connaissent cette planète et sont armés. Pas nous.