Comme toujours en cette saison, l'épais manteau de l'hiver laissait place à la verdure chatoyante. Mes excursions en solitaire n'étant pas bien perçu par le village -même si je ne m'aventurais quasiment jamais au-delà de nos frontières- je m'étais abstenu tout l'hiver pour ne pas faire de trace et indiquer à d'éventuels ennemis l'emplacement du village. Aux premières lueurs de printemps, plus rien de me retenait pour faire mon sac, prendre ma lance, mon poignard et partir. Je me devais d'être discret, en plus des autres clans présent sur cette terre, il y avait à présent les hommes venus du ciel. Je ne savais pas exactement ce qu'ils nous voulaient, mais mon peuple et les autres clans ne semblaient pas apprécier leur présence. N'ayant jamais encore eu à faire à l'un d'entre eux, je ne m'en souciais guère obéissant aux ordres comme un bon petit garde docile.

Ecouter les ordres... Cela ne me ressemblait pas, la preuve en était qu'au lieu de patrouiller, je me baladais et profitais de mon petit moment de solitude pour observer et jouir encore une fois de la nature. La forêt m'inspirait, malgré ces dangers, je m'y sentais bien, comme chez moi. Depuis petit, j'avais pris l'habitude de fuguer du village de temps à autre et cela m'avait aidé à en apprendre un peu plus sur notre environnement. Je ne craignais pas de me retrouver seul, au contraire. J'aimais mon village, ces habitants, notre mode de vie et surtout ce que nous accomplissions jours après jours. Mais si je n'étais pas encore définitivement parti de celui-ci, c'était pour mon demi-frère. Si j'avais accepté de devenir garde, c'était pour être certain de le protéger du mieux que je pouvais en m'entraînant à survivre et à jouer les éclaireurs. Je n'étais hélas pas un as du combat, mais je savais me défendre. Mais ce défendre contre qui? Les Berkaniens étant pacifique, ils n'avaient pas d'ennemis. Tant que notre clan produisaient des bijoux, des vêtements et tant d'autres choses qui pouvait servir aux autres terriens, nous n'avions pas eu de problème, pas encore.

De mon point de vue, les autres se servaient de nous et particulièrement les Voïns, ces humains qui ressemblaient plus à des bêtes sauvages qu'à des hommes. Je haïssais ce clan et lorsque l'un d'eux foulait nos terres, je m'assurais de le lui faire comprendre. Au village, mon attitude devait être respectueuse envers eux, si nous tolérions leur présence c'était surtout parce qu'ils chassaient pour nous. Si les villageois étaient plus courageux et dégourdit, on aurait pu se passer de leur aide, du moins c'est ce que je pensais. Alors à ce moment là, j'aurais pu songer à les tuer. Une guerre... voilà ce que je voulais, mais manque de guerrier cela ne se produirait jamais.

Le soleil venait de se coucher et malgré la lumière qui émanait des plantes et de certains insectes, je devais faire un feu pour au moins me réchauffer et faire griller le lapin que j'avais tué quelques temps auparavant. Une fois ce dernier allumé, je m'assis devant, scrutant sa robe rouge-orangé virevoltant au gré du vent. Un petit feu... beaucoup plus petit mais tout aussi fort que celui que mon peuple faisait pour célébrer la nuit de la clairvoyance. Ce rite était l'un de mes favoris. J'aimais l'esprit qui nous habitait tous ces nuits là. L'odeur de la soupe, la chaleur qui émanait du feu venant réchauffer nos visages et les moments privilégiés que nous passions tous ensemble. J'aimais me retrouver avec mon demi-frère et danser au coin du feu gigantesque que nous allumions. J'étais un des meilleurs danseurs du village, enfin un point commun avec mon clan. Je n'étais pas doué de mes mains à part avec un couteau, je ne savais pas dessiner et n'était pas non plus très intéressé par cet art. Déjà enfant, j'étais turbulent, toujours le premier à frapper que ce soit parce que l'on embêtait mon demi-frère ou parce que les autres enfants se moquaient de ma petite taille. J'ai toujours était petit, et la cruauté naïve des autres enfants m'avaient fait complexé, ma taille était devenue un sujet sensible, aussi sensible que celui de feu ma sœur, tué pour être née difforme.

Au village, ma mère n'était pas bien vu, comme moi, elle était aventureuse et connaissait ces bois. Elle pouvait passer des jours dans ces derniers. Son côté "sauvage", c'est ce qui avait charmé mon père. Mais hélas, cela n'avait pas suffit pour la garder en vie. Mon père ne parlait jamais d'elle, c'était les seules choses que je savais à son sujet. Il n'avait pas hésité à refaire sa vie avec une autre femme. Je détestais le voir avec elle. Paradoxalement, j'aimais leur fils plus que je ne pouvais m'aimer, plus que j'aimais la forêt, ma liberté. Depuis petit, notre relation était fusionnelle. C'était la personne qui me connaissait le mieux, qui me comprenait et c'était avec lui que j'aimais passer le plus clair de mon temps au village.

J'étais plongé dans mes pensées, ne faisant pas attention à ce qu'il pouvait m'entourer quand un cri de corbeau me fit reprendre mes esprits. Dans notre clan, ce cri était sacré, cela pouvait être l'avertissement d'un danger quelconque, surtout la nuit. J'éteignis mon feu, prenant mes affaires pour guetter que qu'il pouvait mettre le village en alerte. J'entendais au loin un individu. Qui cela pouvait-il être. Il était rare que des villageois ou même des gardes s'aventure aussi loin du village seul. Cela ne pouvait pas être l'un des notre. Il ne m'était pas difficile de localiser l'intrus, ce dernier faisait beaucoup trop de bruit.

Discrètement, je m'avançais vers lui, ma lance dans ma main droite, près à l'attaquer. C'était un des envahisseur venu du ciel. Il ne semblait pas hostile, mais étant sur nos terres, il fallait le chasser à tout pris. Si je rapportais sa tête au village, peut être comprendraient-ils qu'il était important d'apprendre à nous défendre contre l'envahisseur. Une fois à bonne distance de l'étranger, j'attaquais, jetant ma lance en espérant le toucher. Pas de chance, je venais de le rater, de peu. Cette dernière se planta droit dans un tronc d'arbre. Alerté par mon attaque, il se mit à courir. Je me devais de la chasser de nos terres et au mieux, de le tuer. Je décrochais ma lance, le pourchassant. C'est qu'il courait vite le bougre, mais pas assez pour me distancer. Je n'étais pas assez entrainé pour lui lancer de nouveau mon arme, nous étions en pleine course et si je voulais avoir une chance, il fallait l'attaquer au corps à corps. N'étant pas assez proche de lui, je lançais de nouveau mon arme, espérant le ralentir, mais rien n'y fait. Rapide et téméraire, je ne m'étais peut être pas attaqué au plus faible. Je devais poursuivre à tout pris mon attaque. Le ciel sombre et la faible lueur qui émanait des plantes ne m'aidait pas à bien y voir. Au bout d'un petit moment, je le perdis de vue. Essoufflé, je ralentissais ma course tournant autour de l'endroit où je l'avais perdu de vue. Il devait avoir trouvé une bonne cachette mais il ne fallait pas abandonner, pas tant que je n'avais pas sa tête. J'essayais d'être le plus discret possible. Il avait peut être trouvé une bonne cachette mais moi, j'étais à découvert, il pouvait à son tour m'attaquer. De chasseur j'étais devenue la cible. Peut être était-il armé. Je serrais mon poignard, prêt à dégainer à tout moment quand j'entendis de nouveau ce corbeau. Peut être que cet avertissement ne lui étais pas destiné, peut être y avait-il un danger plus proche du village que cet étranger. Je ne voulais pas abandonner ma proie, mais s'il n'était pas la vraie menace dans ces bois, que je m'obstinais et qu'en réalité nous étions attaqués par d'autres, les villageois ne me laisseraient plus partir seul. Regardant une dernière fois autour de moi, espérant le voir pour en finir avec lui, je soupirais. Personne. Je devais rentrer et défendre le village à contre coeur. Je haïssais finir sur un échec. Avant de quitter ce périmètre, j'ouvris la bouche, parlant haut et fort dans sa langue.

_ Ne revient plus ici, la prochaine fois, je ne te raterai pas.